Apple annonçait en juin dernier l’intégration au sein de iOS12, de nouvelles fonctionnalités permettant de limiter les sur-sollicitations et de gérer le temps passé devant les écrans. Des innovations louables qui proposent d’aider l’utilisateur à reprendre le contrôle de son temps et de son attention. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Là où de grandes entreprises technologiques travaillent à capter notre attention le plus longtemps possible (Yaël Benayoun, présidente du Mouton Numérique rappelait récemment dans une interview l’existence d’une chaire de captologie à Stanford), d’autres comme Apple ou Google semblent proposer à l’utilisateur de nouveaux outils pour reprendre le contrôle sur son attention.
Capter l’attention des utilisateurs
Auditeur attentif du colloque Ethics by Design des designers éthiques le 2 octobre dernier, j’ai pu assister à la brillante présentation de Mellie la Roque. J’ai ainsi découvert le modèle développé par Nir Eyal dans son ouvrage Hooked, pour expliquer le mécanisme mis en œuvre dans les produits technologiques pour nous garder captifs.
Nir Eyal a travaillé dans l’industrie des jeux vidéo qui utilise depuis longtemps ces mécanismes. Il a ainsi décrit dans ce canvas la mécanique comportementale utilisée.
Source : alexcowan.com / Nir Eyal
Un déclencheur interne ou externe (une notification par exemple) sollicite l’utilisateur pour le pousser à l’action, c’est-à-dire à accomplir une interaction (se connecter à un réseau social). Une récompense est ensuite offerte à l’utilisateur. Elle constitue le moteur de l’action accomplie (obtenir la reconnaissance sociale d’un « like » sur les réseaux sociaux par exemple).
L’utilisateur est enfin sollicité pour investir lui-même dans le produit ou service. Il accomplit alors une action supplémentaire qui crée une préférence et permet de s’assurer qu’il réutilisera le produit ou service (rajouter un commentaire, répondre).
Dans le cas des réseaux sociaux, on comprend bien-sûr l’objectif de garder l’utilisateur captif : lui monter les publicités sur lesquelles repose le modèle économique de ces acteurs.
L’objectif des initiatives récentes des GAFA serait en effet selon Nir Eyal de nous éviter de sombrer dans l’addiction, ce qui à terme nuirait à terme à l’usage que nous avons de leurs produits.
Mais le fait de rattraper uniquement en bout de chaîne les biais de conception initiaux de ce type pose la question de la conception éthique. Comme le disait Yael Benayoun dans une interview réalisée par Thomas Gouritin, « on ne peut pas seulement demander à l’utilisateur d’éteindre son téléphone pour reprendre le contrôle ». Une part de responsabilité est en effet portée par le concepteur.
La question de la liberté en filigrane
La question du choix laissé à l’utilisateur, et donc de sa liberté est en effet cruciale.
C’est notre capacité à choisir qui nous rend humain. Madelène Dengle
Dès la conception d’un produit ou service technologique, il est ainsi possible d’intégrer de nouvelles dimensions dont celles de l’impact que celui-ci aura, que ce soit sur l’utilisateur, l’environnement, ou tous les autres acteurs de son écosystème.
Si d’un point de vue environnemental, des pistes peuvent être trouvées du côté du design circulaire aujourd’hui promu par la fondation Ellen Mc Arthur, des réflexions plus larges permettant de prendre en compte le design de l’attention sont également portées par des designers. Elles concernent alors le processus de création en lui-même.
C’est notamment le cas de Katherine Zhou, également citée par Mellie La Roque dans sa présentation sur le design de l’attention. Cette designer introduit dans le processus de design standard de nouvelles étapes qui permettent une meilleure prise en compte de l’impact du processus de design (Evaluer / Prévoir / Contrôler).
source : designethically
Un exemple très parlant dans ce domaine est par exemple la tablette créée par l’entreprise reMarkable : elle reproduit l’usage du papier et veille dès sa conception à préserver l’utilisateur de toutes les distractions existantes sur les autres devices (notifications, etc…). Elle incarne à mon sens véritablement un design éthique de l’attention, en ce sens qu’elle ne fait pas appel au mécanisme de captation cité plus haut.
Pour en savoir plus sur les designers éthiques, rendez-vous ICI
Sources :
https://www.alexandercowan.com/the-hook-framework/
www.nirandfar.com/2018/06/google-apple-less-phone-use.html
http://designethically.com/framework3
Présentation de Mellie La Roque au colloque Ethics by Design – Du design de l’attention à un design responsable : hypothèses et perspectives.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=212&v=zpUPpiV7gAo
Disclaimer : je suis membre de l’association le Mouton Numérique.